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Entretien de Jean-Marc Virey

sur l’utilisation des activités numériques dans le cadre d’une pédagogie inversée (Moodle et WIMS, Centre de Physique Théorique, Aix Marseille Université)

Intentions initiales

Le dispositif est apparu naturellement lors la mise en place d’une pédagogie inversée pour 4 UE (unités d’enseignements) de première année (L1 et Prépa Polytech-PEIP) : Optique géométrique, Électricité/électrocinétique, Physique Newtonienne 1&2. Les activités numériques font partie de ce dispositif et servent à accompagner les étudiants lors du travail hors classe (les mettre en activité).

L’équipe souhaitait alors développer l’autoévaluation et l’autoformation des étudiants, en début de parcours mais aussi au fil de la formation, les aider par des remédiations (avec ou sans tutorat) et les accompagner dans les révisions.

Sous Moodle, JM Virey est le créateur de la plupart des activités de physique newtonienne et d’électricité, Gwenn Boedec a créé celles d’optiques. Des activités créées par la communauté WIMS sont utilisées dans le scénario d’apprentissage. Une vingtaine d’enseignants-chercheurs utilisent l’ensemble de ces diverses activités.

L’investissement en temps pour les enseignants est difficile à estimer car ce travail s’est étalé sur 3 ans, mais cela se compte en mois.

Description du dispositif

Alignement pédagogique et pyramide de Bloom

En une phrase, l’alignement pédagogique demande à l’enseignant d’être cohérent entre les prérequis des étudiants, les objectifs d’apprentissage, les méthodes de travail sur les savoirs et les savoir-faire (et les compétences !), les outils mis à disposition des étudiants, et enfin, la phase d’évaluation. En parallèle à cela, on trouve la « pyramide de Bloom » et la nécessité de bien penser la progressivité des apprentissages. La figure 1 explicite les divers degrés de la taxonomie de Bloom en fonction de la mobilisation cognitive des apprenants. clinverse1.png

Scénario d’apprentissage

La figure suivante présente une séquence d’apprentissage idéale. Les figures sont suffisamment explicites et ne demandent pas de commentaires supplémentaires. Remarquez simplement comment s’insèrent les activités numériques entre les diverses séances d’une séquence d’apprentissage. clinverse2.png

Pour les classes en pédagogies inversées, la moitié des activités numériques hors classe sont imposées et donnent lieu à une note.

En PEIP, 70% des étudiants font les activités facultatives.

En L1, 40 à 60% selon les années et les classes, font les activités numériques.

En L1, pour les classes qui ne sont pas en pédagogie inversée, l’ensemble des étudiants ont accès aux activités numériques de Physique Newtonienne 1, et même si leur enseignant ne leur dit pas qu’elles existent, ils les découvrent sur leur ENT et 60% des étudiants vont en faire (mais aucune statistique n’a été faite pour connaître le volume des activités effectuées).

Contenu des activités numériques proposées

Le principe est simple : on écrit une série de questions, qui peuvent être de natures différentes (QCU, QCM, numérique, composition …), avec ou sans feedback(s), puis on les insère dans une activité. Il y a deux grands types d’activités associées à des questions : celles avec une arborescence linéaire et celles avec une arborescence adaptative.

Test/Quizz/Questionnaire

Le plus courant a une progression linéaire et identique pour tous les étudiants : c’est le test. Selon son utilité on prévoit ou non des feedbacks pour chaque question. Le test d’évaluation sommative n’a pas besoin de feedback, c’est le plus rapide à mettre en place. Cependant, si on souhaite que le questionnaire soit formatif, il est indispensable de bien penser aux feedbacks qui sont nécessaires aux étudiants afin qu’ils comprennent la source de leurs erreurs. La simple réponse : « C’est faux la solution est … » n’est, en général, pas suffisante. La conception des feedbacks prend du temps. Il faut aussi se demander si on fait un seul feedback pour toutes les réponses (juste(s) et fausses), ou si on en fait plusieurs spécifiques à chaque mauvaise réponse. Cela prend encore plus de temps.

La plupart des activités numériques qu’on trouve sur la majorité des plateformes sont des tests avec QCM/QCU ayant des feedbacks minimalistes. Ces tests sont utiles pour faire des gammes mais les étudiants en difficultés restent souvent frustrés car ils ne comprennent pas la nature de leur erreur… On peut faire beaucoup mieux que cela, et une étape importante est de bien travailler les rétroactions/feedbacks !

Remédiation et arborescence adaptative

L’activité leçon de la plateforme MOODLE permet, pour un sous ensemble de type de questions, de donner un chemin différent pour chaque réponse. Cette activité est particulièrement intéressante car elle permet de créer une arborescence qui s’adapte au niveau de l’étudiant. Le bon étudiant aura une progression rapide, alors que l’étudiant en difficulté sera aidé pas à pas. Si on arrive à diagnostiquer l’erreur, on peut poser des questions intermédiaires pour remédier aux difficultés de l’étudiant. Les configurations des branches secondaires peuvent être très diverses : feedback à indices, faire des gammes, décomposition de la question initiale en une série de sous-questions … Ce type d’activité est le plus long à créer mais c’est celle qui a le plus de succès auprès des étudiants en difficultés. Ne commencez pas par ça au début mais essayez d’y tendre !
On peut faire de la remédiation de bien des façons différentes. En particulier, sans passer par cette activité leçon mais simplement avec des tests linéaires. La non linéarité, l’adaptation individuelle remédiante, se fait hors d’une unique activité mais par un enchaînement d’activités (linéaires). Insistons sur le fait que les feedbacks sont les éléments clés de l’utilité des activités numériques en distanciel.

Détail des types d’activités proposés

Voici les 5 types de modules qui sont proposés aux étudiants et qui s’insèrent dans les différents temps d’apprentissages.

Avec une arborescence adaptative sous MOODLE :

  • Le module leçon reprend les points essentiels du cours tels que les définitions, les connaissances de bases, les théorèmes fondamentaux et les techniques indispensables à la résolution des exercices et problèmes.
    En cas d’erreur un feedback donne le rappel de cours adapté. L’étudiant peut refaire jusqu’à 10 fois cette leçon. Cela correspond aux niveaux 1 (reconnaître) et 2 (comprendre) de Bloom.
  • Le module exercice applique la leçon à une connaissance et/ou une compétence particulière. Si un étudiant n’arrive pas à répondre à une question, il enchaîne alors sur des sous-questions avant de revenir à la question initiale.
    Cela correspond aux niveaux 2 (comprendre) et 3 (appliquer) de Bloom.
  • Le module problème correspond, en général, à un ancien sujet d’examen dont la résolution nécessite la synthèse de plusieurs connaissances et compétences. C’est ici que l’arborescence adaptative prend véritablement toute son importance. On les trouve en fin de séquence d’apprentissage. En fin de cours (de semestre) certains problèmes intègrent l’ensemble des connaissances de plusieurs chapitres, voire de plusieurs matières.
    Cela correspond au niveau 4 (analyse/synthèse) de Bloom.

Avec une arborescence linéaire sous MOODLE :

  • Le module test sert à l’autoévaluation et suit directement le module leçon. Son rôle est de forcer les étudiants à avoir au moins lu et travaillé les définitions de bases.
    Cela correspond aux niveaux 1 (reconnaître) et 2 (comprendre) de Bloom. Les résultats obtenus par la classe entière permettent à l’enseignant d’adapter les contenus de la séance suivante.

Avec une arborescence linéaire sous WIMS :

  • WIMS propose des exercices à valeurs générées automatiquement variant à chaque essai et pour chaque élève. Tous les niveaux de Bloom sont concernés selon la nature de chaque exercice.
    Pour avoir une idée de tout ceci, vous pouvez accéder à mon cours de physique newtonienne sur le site : https://virey.moodlecloud.com ; nom d’utilisateur : etu01 ; mot de passe : pwdetu01
  • Remarque : Concernant, les tests par manque de temps seul des tests élémentaires sont proposés (i.e. des tests sur les définitions et applications simples). Quand on rédige une question, il est important d’établir son niveau au sens de Bloom. Ensuite, quand on construit le test (l’enchaînement des questions du questionnaire), on pense à la progressivité au sein du test, ou on peut établir des tests pour chaque niveau de la taxonomie de Bloom : test-définitions, test-compréhension, test-application, test-analyse ou plutôt test-bilan de la séquence d’apprentissage. (Pour les derniers niveaux de la pyramide de Bloom, créer/évaluer, les tests ne sont plus adaptés, les activités numériques associées sont plutôt du type devoir ou atelier, mais c’est une autre histoire… ).
    Pour conclure cette partie voici la quantité d’activités proposées :
    • Physique Newtonienne 1 : 35 activités
    • Optique : 8 activités
    • Électricité : 5 activités Physique
    • Newtonienne 2 : 20 activités

Notation des activités numériques

Les informations suivantes sont données aux étudiants en début d’année :
« La note de contrôle continu sera calculée ainsi :
– Participation aux activités numériques : 25%
– Résultats aux activités numériques : 25%
– Qualité des devoirs maisons : 50% »
et
« Le contrôle continu est fortement conseillé mais n’est pas obligatoire. Pour les deux sessions d’examens, si NE est la note d’examen et NCC la note de contrôle continu, la note finale de l’UE est calculée à l’aide de la formule suivante : NF = max[(0,3*NCC + 0,7*NE) ; NE] »

En résumé, les notes obtenues aux activités numériques sont un « bonus » pour la note finale , les étudiants sont cependant fortement incités à les faire, certains enseignants les rappellent à l’ordre lors des séances lorsqu’elles ne sont pas faites.

Bilan du dispositif

Bilan général

Comme les activités numériques (incluant les exerciseurs) ne sont qu’une partie du dispositif pédagogique mis en place (un des 4 blocs de la pédagogie inversée, les 3 autres blocs étant la classe inversée proprement dite, l’approche par résolution de problème et le travail en équipe), il est difficile de séparer la contribution spécifique de chaque élément.

Cependant, on peut faire quand même un bilan :

Les étudiants font des progrès lors des évaluations finales. Le taux de réussite est supérieur alors que les épreuves écrites sont plus exigeantes et plus difficiles qu’avant.

Ils sont plus motivés pour apprendre.

La méthode est appréciée par 60% des élèves en fin de premier semestre, puis par 75% en fin du second. Mais ils sont récalcitrants le premier mois à cause de la quantité de travail demandée à la maison.

Ils gagnent en autonomie dans leur apprentissages tout au long de l’année et 60 à 75 % des étudiants comprennent mieux les concepts enseignés. Ils sont plus performants sur les tâches calculatoires.

Côté enseignant :

C’est une façon efficace de faire des évaluations formatives des apprentissages. Le gain de temps enseignant est réel grâce aux corrections automatiques. On gagne aussi en efficacité pour les séances en cours pourvu que l’activité préparatoire hors classe ait été faite par les élèves.
C’est une bonne façon de faire de la remédiation et de gérer l’hétérogénéité du groupe.

Cependant, il faut produire et cela prend du temps. Les estimations qui suivent sont très grossières. Elles supposent que l’on a déjà en tête la liste des questions et leurs solutions, ainsi qu’une expérience des erreurs fréquentes des étudiants aux réponses de ces questions (i.e. ce n’est pas la première fois que vous enseignez cette matière). Mais vous n’avez pas sous le coude les feedbacks des réponses (i.e. vous n’avez jamais écrit des indices amenant à la solution ou la solution détaillée de chaque question).

La mutualisation des ressources semble être une solution au vu de l’investissement nécessaire, mais elle rencontre beaucoup de problèmes dans sa mise en œuvre.
Dans les grosses équipes, un cours numérique est créé, réservé aux enseignants uniquement, dans lequel chacun dépose ses ressources numériques (cours, TD, TP, activités numériques, autres) et où chacun peut piocher.
Les difficultés sont les suivantes : gérer les multiples plateformes, mettre en place des nomenclatures et des méta-données pour faciliter les recherches dans l’existant, et enfin que les collègues acceptent de produire pour mutualiser.

Perspective

Ce dispositif est en place depuis l’année 2012/2013. Il se généralise dans de nombreuses UE en licence et master. La nouvelle formation PES (Préparation aux Etudes Scientifiques) d’Aix Marseille Université aura 80% de ses UE dispensées sous cette forme ou une forme similaire.
Cette année, il a semblé nécessaire de fournir un guide aux enseignants pour les aider à produire des ressources dans cet esprit. L’objectif est double : produire des activités numériques de qualité, et minimiser le temps de production.

Interview réalisé en Décembre 2018 Version PDF : classeInversePDF.pdf

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